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Il m'est arrivé, comme à tout le monde, de sortir en boîte. Je n'ai jamais compris, au fond, ce qu'on pouvait trouver en ces lieux même plus enfumés aujourd'hui à part la promesse d'une surdité précoce ou d'une belle cuite pour les petites natures qui ne tiennent pas l'alcool. Qu'y a-t-il de plus jouissif que de soutenir une copine en train de vomir dans le caniveau, entrecoupant ses déjections orales de sanglots émus et de déclarations d'amitié à la vie à la mort ? On aura bien entendu pris soin de reporter le plan Q de la soirée au nom de ce lien supérieur dans la hiérarchie des relations humaines que constitue la loyauté indéfectible envers la cops bourrée qui vous fait des aveux d'amour éternel. On s'auto-congratule de cette abnégation, qui nous a fait sacrifier au moins deux orgasmes vaginaux et peut être un clitoridien, si le mec sait où ça se trouve, vers le milieu entre Paris et Los Angeles. On se sent infiniment bonne, dans ces moments là. A la limite du martyre chrétien qui va se faire bouffer par des lions au nom de sa foi. Notre foi, à ce moment précis, c'est elle, elle qui régurgite ses 17 vodkas-orange sur le trottoir tandis que vous caressez tendrement sa nuque trempée de sueur en lui disant que ça va aller ma chérie moi aussi je t'aime avant d'essuyer notre main contre notre petite robe noire que l'on se promet de mettre au lave-linge le lendemain, nous qui l'avons contrainte à avaler du café salé pour qu'elle évite le coma éthylique. Une soeur pour laquelle on donnerait tout, ce soir, y compris les délicieux spasmes post-coïtum derrière les murs de la discothèque tandis que tous s'agitent et se trémoussent frénétiquement sur Enola Gay. La vie est faite de renoncement.
Rosette, elle, c'était pas son genre de picoler. Ni d'aller faire faire de la géographie anatomique pour découvrir si le gouffre de Padirac est plus accessible que l'Aven d'Orniac. Elle a été un soir ma compagne de sortie, et elle était si sage que pour une fois j'ai dérogé à mes principes en épargnant les amortisseurs de quelque BX au fond du parking.
Lorsque notre folle nuit fut achevée, vers deux heures, deux heures trente, deux jeunes garçons sans-doute attirés par notre virginale attitude, nous accostèrent, nous demandant nos prénoms comme il est de coutume dans toute parade nuptiale qui se respecte chez à peu près tous les mammifères.
- Rosette, répondit Rosette, ce qui nous valut un éclat de rire pantagruesque.
- Et toi? me demanda l'un d'eux, tentant de reprendre son souffle et son sérieux (on peut pratiquer le zeugma à tout âge, il n'y a pas de contre indication.)
- Priscillia.
Il faut que vous sachiez que j'avais un prof de fac dont je tairai le nom de crainte qu'il ne soit en vie et ne me lise, qui était fervent admirateur de Pierre Desproges, et dans chacun de ses exemples citait le prénom Priscillia en référence humoristique à cet homme qu'il révérait. Révérant moi-même mon prof de fac pour des raisons sans-doute différentes de celles pour lesquelles il adulait Desproges - encore que l'humour n'en fût pas des moindres - j'avais pris l'habitude de prendre pour pseudo Priscillia, fille d'un espion français et d'une agent-double albanienne morte en couches à la frontière alors qu'il essayait de l'exfiltrer.
- Ah ! Tu vois, claironna l'un des deux jeunes Dom Juan à l'adresse de Rosette. Ta copine, elle, au moins, elle nous donne son vrai prénom. Pourquoi tu te crois obligée de t'inventer un pseudo ?
Simuler, c'est être.
Il m'est arrivé, comme à tout le monde, de sortir en boîte. Je n'ai jamais compris, au fond, ce qu'on pouvait trouver en ces lieux même plus enfumés aujourd'hui à part la promesse d'une surdité précoce ou d'une belle cuite pour les petites natures qui ne tiennent pas l'alcool. Qu'y a-t-il de plus jouissif que de soutenir une copine en train de vomir dans le caniveau, entrecoupant ses déjections orales de sanglots émus et de déclarations d'amitié à la vie à la mort ? On aura bien entendu pris soin de reporter le plan Q de la soirée au nom de ce lien supérieur dans la hiérarchie des relations humaines que constitue la loyauté indéfectible envers la cops bourrée qui vous fait des aveux d'amour éternel. On s'auto-congratule de cette abnégation, qui nous a fait sacrifier au moins deux orgasmes vaginaux et peut être un clitoridien, si le mec sait où ça se trouve, vers le milieu entre Paris et Los Angeles. On se sent infiniment bonne, dans ces moments là. A la limite du martyre chrétien qui va se faire bouffer par des lions au nom de sa foi. Notre foi, à ce moment précis, c'est elle, elle qui régurgite ses 17 vodkas-orange sur le trottoir tandis que vous caressez tendrement sa nuque trempée de sueur en lui disant que ça va aller ma chérie moi aussi je t'aime avant d'essuyer notre main contre notre petite robe noire que l'on se promet de mettre au lave-linge le lendemain, nous qui l'avons contrainte à avaler du café salé pour qu'elle évite le coma éthylique. Une soeur pour laquelle on donnerait tout, ce soir, y compris les délicieux spasmes post-coïtum derrière les murs de la discothèque tandis que tous s'agitent et se trémoussent frénétiquement sur Enola Gay. La vie est faite de renoncement.
Rosette, elle, c'était pas son genre de picoler. Ni d'aller faire faire de la géographie anatomique pour découvrir si le gouffre de Padirac est plus accessible que l'Aven d'Orniac. Elle a été un soir ma compagne de sortie, et elle était si sage que pour une fois j'ai dérogé à mes principes en épargnant les amortisseurs de quelque BX au fond du parking.
Lorsque notre folle nuit fut achevée, vers deux heures, deux heures trente, deux jeunes garçons sans-doute attirés par notre virginale attitude, nous accostèrent, nous demandant nos prénoms comme il est de coutume dans toute parade nuptiale qui se respecte chez à peu près tous les mammifères.
- Rosette, répondit Rosette, ce qui nous valut un éclat de rire pantagruesque.
- Et toi? me demanda l'un d'eux, tentant de reprendre son souffle et son sérieux (on peut pratiquer le zeugma à tout âge, il n'y a pas de contre indication.)
- Priscillia.
Il faut que vous sachiez que j'avais un prof de fac dont je tairai le nom de crainte qu'il ne soit en vie et ne me lise, qui était fervent admirateur de Pierre Desproges, et dans chacun de ses exemples citait le prénom Priscillia en référence humoristique à cet homme qu'il révérait. Révérant moi-même mon prof de fac pour des raisons sans-doute différentes de celles pour lesquelles il adulait Desproges - encore que l'humour n'en fût pas des moindres - j'avais pris l'habitude de prendre pour pseudo Priscillia, fille d'un espion français et d'une agent-double albanienne morte en couches à la frontière alors qu'il essayait de l'exfiltrer.
- Ah ! Tu vois, claironna l'un des deux jeunes Dom Juan à l'adresse de Rosette. Ta copine, elle, au moins, elle nous donne son vrai prénom. Pourquoi tu te crois obligée de t'inventer un pseudo ?
Simuler, c'est être.
